Rendez-vous... [PV]

Étrange cette fin de journée, songea Cael en étant dans sa chambre. Il ferma la porte et s'adossa contre avant de lâcher un soupir, s'accordant un petit temps de réflexion. Dimitry, un jeune homme pour le moins aimable quoiqu'un peu étrange avec Cael, savait désormais qu'il était castrat. En y songeant, que savait-il sur lui ? Si ce n'est une grande maladresse, tant dans ses gestes que dans ses manières. Et il devait le revoir, comment allait se passer leur prochaine rencontre ?
Il posa son écharpe sur un fauteuil et retira sa veste faisant tomber un petit papier sans faire attention. Il s'assit devant sa glace après l'avoir accroché sur une petite patère.
La tête sur la main il se mit à jouer avec les cosmétiques étalés sur la maquilleuse, ses pensées tournées sur la journée. L'orphelinat lui avait appris une chose, la réflexion, ce qui n'arrangeait pas forcément ses migraines. Il avait pour habitude de repasser toutes ses journées chaque fois qu'il avait un moment seul au calme, comme maintenant.
Pendant une bonne demi-heure il ne bougea que les yeux, allant d'un coin à l'autre de sa chambre lorsqu'un détail attira son attention. Il se leva donc pour aller ramasser ce bout de papier plié en quatre au pieds de sa gabardine.
Il se souvint de sa provenance en le dépliant. C'était Desdemona qui le lui avait donné, parlant d'un rendez-vous. Ce souvenir n'arrangeait pas son humeur. Desdemona... Elle, elle était trop gentille, et trop souriante pour qu'il ne s'en méfie pas. D'autant qu'elle semblait en savoir bien plus que Dimitry. Il était d'ailleurs persuadé qu'elle avait joué de son empathie lorsqu'ils l'avait croisée dans le parc. Il posa le papier en évidence sur son bureau en soupirant. Il sortait d'où juste d'une institution étrange pour entrer dans une autre qui semblait l'être encore plus. C'était une manière originale de découvrir un monde qu'il n'avait vu qu'à travers les fenêtre de l'orphelinat.
Fatigué par tout ça, il se démaquilla et se déshabilla pour se coucher, songeant que la journée du lendemain serait bien différente de toutes celles qu'il avait pu vivre auparavant. Entre le rendez-vous avec Dimitry et celui avec Desdemona, ça promettait d'être riche en émotions. S'il n'avait pas une migraine demain... à la réflexion, c'était impossible. Bonne nuit Cael. Il posa un doigt sur son oreiller en murmurant "bonne nuit Aeris..."

Cael se réveilla sans migraine ce matin là. Un chance, songea-t-il. Il regarda par la fenêtre et vit que le soleil commençait tout juste à se lever. Il était tôt. Aussi profita-t-il du lever de soleil tranquillement assis sur son balcon avant de commencer à se préparer.
Lorsqu'il fut près il prit le papier que Desdemona lui avait donné la veille et se rendit dans le hall. Au moins il ne risquerait pas de louper Dimitry s'il se rendait à la cafétéria, en espérant que comme lui il s'y rende plus tôt que les autres élèves.

Arrivé en bas, il s'assit sur un des bancs non loin de l'entrée de la cafétéria et attendit en feuillant des partitions.

Desdemona se réveilla tôt ce matin-là. Elle était de bonne humeur et décida de faire un petit tour dans le pensionnat. Sa douche prise, elle se dirigea vers sa penderie dont elle sortit une robe violette, très simple - bien que plutôt décolletée et relativement courte - qu'elle assortit avec de petites chaussures à talons de la même couleur. Elle détacha ses cheveux et y passa un ruban blanc de chaque côté, qu'elle noua, afin qu'ils ne l'encombrent pas. Ceci fait, elle se maquilla légèrement, pris sa guitare avec elle et sortit de sa chambre tranquillement. En arrivant près de la cafétéria, elle aperçut le jeune Cael, qui paraissait attendre quelqu'un (probablement ce Dimitry, songea-t'elle). Cael était d'une beauté étonnante. Il était très androgyne, ce qui plaisait beaucoup à la jeune fille. Elle trouvait dommage de ne pas lui avoir encore parlé réellement, et ce matin était peut-être l'occasion de le faire. Cependant, elle ne voulait pas déranger Cael si jamais il attendait réellement son ami, bien qu'elle trouvait cette pseudo-rivalité entre lui et elle plutôt amusante. Elle était dans un bon jour et ne désirait pas s'amuser à ça aujourd'hui. Elle désirait passer une journée calme, dehors, avec sa guitare, à chantonner tranquillement au pied d'un arbre. Peu commun, pour quelqu'un comme elle, certes, mais tellement agréable. Elle songeait parfois qu'elle aurait aimé être humaine, et vivre une vie paisible. C'est pour cela qu'elle aimait bien Cael. Bien sûr, il n'était pas tout à fait humain, mais il n'en avait pas conscience, pas encore du moins, et vivait une adolescence normale, pour l'instant. Elle s'approcha donc de lui et l'interpella.

Salut ! Tu es matinal, dis donc ! Comment vas-tu aujourd'hui ?

Elle lui sourit gentiment.

Dimitry avait travaillé toute la soirée pour se préparer à l’examen de chimie du lendemain, mais sa tête fourmillait déjà de mille et unes idées sur le déroulement de la soirée. Il y était allé… plutôt rapidement. À vrai dire, c’était la première fois qu’il se déclarerait à quelqu’un. Le jeune homme ne savait pas d’où lui venait cet excès de confiance en lui, mais ça lui plaisait! La lune était haute dans le ciel lorsqu’il s’endormit sur sa copie, épuisé par se tourbillon de nouveauté. Il en était encore au quatrième numéro.
Ses rêves s’envolèrent vers des sourires embarrassés, des regards en coin et une énorme pastèque parlante qui prodiguait des conseils capillaires- les rêves du jeune homme avaient toujours été très colorés.- et lorsqu’il ouvrit les yeux pour constater qu’il était sept heures, les lettres « CO2 + CH3COO » se noyaient dans un océan salivaire et la réponse du problème (en g/mol) avait trouvé refuge sur sa joue droite. Écrire à l’encre noire lui avait pourtant semblé être une bonne idée la veille. Après avoir enfilé rapido-presto un t-shirt orange brûlé sur un chandail blanc tout simple et retrouvé ce qui, d’après ses souvenirs, était le slim le plus propre de sa garde-robe, Dimitry balaya ses affaires dans son sac, sans passer par la case rangement, et sauta dans ses chaussures tout en attrapant son chapeau d’un coup de mâchoire. Ce fût en bondissant, pour pouvoir lasser ses baskets, que Dimi dévala le couloir, concentrant toute son énergie sur la route. Le virage, le vieux buste d’un illustre directeur, qui n’avait d’illustre que le titre.
Un rire moqueur lui parvint, distant, comme si il se trouvait à des années lumières derrière l’étudiant. Il sentit vaguement une bourrasque s’écraser dans son dos et, tel le vent du large dans une voile, délogea son chapeau de son logis temporaire, le propulsant en l’air.
Le regard bicolore du gamin suivit attentivement le vol plané du couvre-chef avant que ses jambes ne répondent d’elles-mêmes à un réflexe incoercible. Il se sentit décoller. Il vit ses bras se tendre vers l’accessoire. Il baissa les yeux vers la terre et constata avec horreur qu’il allait s’écraser sur un professeur, qui, d’après son expression, était prof de math ou souffrait de constipation.

-Attenti…, s’entendit-il dire.

L’homme se retourna, écarquilla les yeux et s’écarta de la trajectoire du projectile humain. Le soulagement fût d’assez courte durée, étant donné que ce qui se cachait derrière le professeur était un escalier de pierre rose.
En ces trente secondes ou Dimitry exécuta ce qui risquait bien d’être sa première et dernière expérience en tant qu’apprenti aviateur indépendant (à savoir sans avion), une pensée traversa son esprit. Une seule. Une pensée toute douce et innocente de celle dont on se demande toujours le sens ou la provenance :

« C’est du marbre ou du granit, cet escalier? »

Son pied atterri entre la septième et la huitième marche, exécuta un tour sur lui-même, il étouffa un cri et arqua le dos. Ça faisait mal. Il y avait un lustre au plafond, un peu poussiéreux, mais la lumière lui martela l’iris avait qu’il ne réalise qu’il était en train de basculer par en arrière.
Sa tête heurta la 12ième marche.
Un goût de fer lui emplit la bouche, alors qu’une douleur s’étendait sur la nuque comme un ballon remplit d’eau qui éclate sur son crâne, une douleur inouïe, puis le vide. Un grand vide. Un vide long et froid.
Il ne sentait plus rien, mais il ne savait plus ce qu’il devait sentir exactement. Une jambe? Deux? Trois? Une tête? Peut-être. C’était comme si il ne possédait plus rien et n’en avait plus besoin de toute façon. Pourquoi s’encombrer de tête, de jambes, de membres? D’ailleurs, ou était-il? Nulle part. Pourquoi aurait-il eût besoin d’être à un endroit en particulier. Ce goût de fer qui ne partait pas. Il était léger. Trop léger.
Dimitry.
Son nom lui parvenait de loin.
Dimitry.
Il sourit et entendit sa propre voix murmurer :

-C…tait du… marbre.

On aurait dit un murmure, à peine un chuchotement. Il toussa, puis plus rien.
Plus rien.

Cael commençait à s'ennuyer devant ses partitions lorsqu'il entendit une voix qu'il connaissait. Cachant une certaine déception derrière un sourire, il leva les yeux vers elle.

Bonjour... J'aime bien regarder le soleil se lever, ma fen...

Il n'eut pas le temps d'ajouter quoique ce fut. Une douleur cuisante lui engourdit la cheville, puis l'arrière de la tête et enfin la nuque. Il retint un cri tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Au même moment, il vit une personne atterrir en bas des marches du grand escalier du hall. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître son ami. Sans réfléchir, il se précipita vers lui laissant échapper un cri qui traduisait plus une douleur cuisante que l'inquiétude.

Dimitry ? Est-ce que tu m'entends ?

Manifestement non, se dit-il lorsque son ami évoqua quelque chose qui de toute évidence était en marbre. Puis il perdit connaissance, ce qui fut une vraie libération pour Cael. Le fait que Dimitry ne soit plus assez conscient pour ressentir la douleur lui permit de ne plus la ressentir non-plus. Heureusement pour lui, le hall était presque vide. Aussi n'eut-il pas à supporter les réactions d'un grand nombre de personne. Il n'avait pas besoin d'une migraine maintenant. Il se retourna vers Desdemona avec un regard un rien suppliant.

Pourrais-tu m'aider à l'emmener à l'infirmerie. Il s'est bien amoché et a perdu connaissance...

Son regard se posa à nouveau sur Dimitry. Comment pouvait-on être maladroit au point d'en être dangereux pour soi-même ?

Bonjour... J'aime bien regarder le soleil se lever, ma fen...

Et Dimitry atterrit à leurs pieds. S'il n'avait pas eu l'air de souffrir autant, Desdemona aurait presque pensé qu'il avait fait exprès, juste pour les empêcher de mener à bien leur conversation. Elle regarda Dimitry avec inquiétude et se précipita vers lui quelques secondes après Cael.

Dimitry, est-ce que ça va ?

Il ne répondait pas, ce qui était encore plus inquiétant que sa chute. lorsque Cael lui demanda de l'emmener avec lui à l'infirmerie, elle n'hésita pas une seconde. Dimitry venait de faire une chute magistrale et elle se demandait comment pareil exploit était possible. Il était assez amoché, c'était plus que certain. Elle regarda Cael et lui sourit pour le rassurer.

Prêt ? Un, deux... trois !

Cael regarda Desdemona un peu perplexe lorsqu'elle souleva Dimitry tandis qu'il s'assurait que sa tête ne bouge pas trop. L'étrange cortège se dirigea vers l'infirmerie sous les regards interloqués de quelques autres lève-tôt. Un murmure par-ci, un chuchotis par-là. Des gens qui s'étonnent, qui essaye de comprendre, d'autres encore qui sont choqués ou horrifié par ce qu'ils viennent de voir.
Toutes ces émotions qui assaillaient le crâne de Cael allaient le rendre fou. Pourtant elles n'étaient ni très nombreuses, ni très fortes, mais il n'en pouvait déjà plus. Ces derniers jours il avait éprouvé des choses très humaines, certes, mais des choses qu'il n'avait jamais vécu auparavant. L'orphelinat l'avait confiné d'un un monde à part dans lequel il n'avait vraiment découvert qu'une seule chose : la musique.
Par chance, les émotions des autres réduisaient à mesure qu'ils s'éloignaient du grand hall. D'un autre côté, combien d'élèves se rendaient à l'infirmerie si tôt le matin ?
Ils traversèrent les couloirs en silence. Un silence un rien pesant pour Cael, qui pourtant l'adorait comme un dieu.

Toi aussi tu es matinale, Desdemona, je ne pensais pas te voir ici. Enfin... c'est une chance, si je puis dire, vue ce qu'il vient d'arriver à Dimitry, je suppose que c'est bien que tu sois arrivée avant lui...

C'était un peu maladroit, mais avec un peu de chance ça meublerait un peu la conversation. Il regardait un peu autour de lui pour mémoriser le chemin tout en attendant une réponse de Desdemona.