Visite à un prisonnier.

Lorsque Desdemona arriva à la prison, son cousin était enfermé dans une toute petite cellule, ridicule par rapport à sa taille. Des gardes le firent sortir et le conduisirent à une salle où ils étaient tranquilles. Elle s'était présentée comme sa femme afin de pouvoir être totalement seule avec lui. Elle avait songé à se présenter comme son avocate, mais l'espionnage était courant chez les humains et ils auraient eu beaucoup moins de scrupules à écouter leur conversation si cela avait été un soit-disant rendez-vous entre avocat et client. Une visite conjugale était donc le meilleur moyen d'entrer et d'être seule avec lui. Les humains étaient étrange. La salle était fermée, sans aucun moyen d'écoute ou d'espionnage et avait pour seul meuble un vieux futon. Pourquoi autoriser à un homme qu'on enferme d'avoir des relations sexuelles ? Où était donc la punition ? Mais cette salle présentait un avantage fort : elle pourrait y recouvrer sa réelle apparence. Elle l'avait tellement modifiée qu'elle se demandait si son cousin la reconnaissait. Elle était brune, cheveux ras, avec des yeux verts et un corps d'une platitude déplorable. Lorsque le garde ferma la salle, leur laissant une heure "et rien de plus !", comme il l'avait dit d'un ton si autoritaire, Desdemona but un peu de potion et redevint elle même, enfin. Elle regarda son cousin, qui avait l'air assez tendu, puis s'assit sur le futon. Elle lui sourit et prit un air léger, voulant détendre l'atmosphère.

Salut toi ! T'as vraiment pas l'air en forme !

Ne le voyant pas répondre, elle redevint sérieuse, car il n'était visiblement pas d'humeur à rire.

Je sais, j'ai mis pas mal de temps à venir, mais avec toute la paperasse que j'ai dû me taper et ce à quoi j'ai dû réfléchir, j'ai pas eu le choix.

Il ne dit rien. Elle laissa passer cinq minutes puis repris la parole.

S'il te plaît, dis quelque chose...

Le détenu D1644 se réveilla avec lenteur. Ses membres étaient enkilosés, ses articulations lui faisaient un mal de chien. Recroquevillé dans ce qui aurait certainement dû s'apparenter à un lit, il tenta de s'étirer et heurta très rapidement les murs. La nuit de la veille lui revint en mémoire. Sa cousine qui lui cache quelque chose, cet élève qui se retrouve au bord du lac, en même temps qu'une vingtaine de néantes, ces policiers et leurs armes étranges qui l'avaient littéralement mis hors d'état de nuire en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Et tout ça pour se retrouver dans une minuscule cellule, même pas assez grande pour qu'il s'y tienne debout.
Il s'examina un instant, à la recherche de brûlures a priori inexistante. On l'avait lavé, et habillé, qu'avait dû penser la personne qui s'en était chargé ?
D'abord de son apparence, mais surtout de cette absence de stygmates après ce qui lui était arrivé.
La voix du gardien le sortit de ses pensées. Il semblait indiquer la cellule du directeur à quelqu'un. Il tapa contre ses barreaux et lui désigna sa "femme". Barsanuphe serra les mâchoires, son regard se durcit aussitôt. Une chance pour elle qu'elle fut de dos à ce moment là.

Une fois qu'on l'eût emmené dans la salle des visites conjugales où elle l'attendait, l'état de ses nerfs ne s'arrangea pas. Il lui tourna le dos en regardant par la minuscule fenêtre.

Te faire passer pour la femme que j'ai à la fois le plus aimé et le plus execré est complètement stupide, encore heureux que tu sentes le vampire à des kilomètres. Et encore ! Une chance que les humains ne soient pas assez attentifs, sans quoi ils t'auraient de suite repérée.

Il s'assit sur le lit en soupirant.

Bien ! Tu viens aux nouvelles je suppose ? C'est très simple : Amshel est mort, j'aurais pu y passer moi aussi, j'ai eu de la chance. Maintenant j'ai besoin de sortir d'ici. Dorothy doit être mise au courant, et j'entends par là que JE dois la mettre au courant. Voilà pourquoi je dois sortir d'ici au plus vite, et je suis persuadé que tu as déjà une idée, tu n'es pas stupide, tu sais.

Il marqua une pause et reprit avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit.

Oh ! Et mes ombres rôdent encore dans le pensionnat, sauf celle dont tu t'es occupée, ce qui ne doit pas forcément plaire aux élèves, et je t'interdis de les détruire puisqu'elles me sont d'une utilité dont tu ne pourrais même pas te douter. Tu veux encore que je dise quelque chose, ou ça ira ?

Mettre Dorothy au courant... lui-même. Impossible.

Euh... Dorothy est déjà au courant. J'ai pas eu le choix, Barsa', il fallait bien que je fasse quelque chose.

En effet, Desdemona avait prévenu Madame le Maire, à contrecœur, de ce qu'il s'était passé. Après avoir passé des heures dans le bureau de Barsanuphe à retourner la question dans tous les sens, elle avait décidé d'écrire à cette dernière.

Lady Butterfly,

Je dois vous informer d'un évènement dont la gravité me contraint à vous déranger. Ce soir, Barsanuphe était en train de lutter contre je ne sais quelle force invisible par les flammes lorsqu'un étudiant, Amshel Goldschmidt, est passé et a été happé par le feu. Il n'a pas tenu le choc. Barsanuphe tentait de l'emmener loin quand des policiers sont arrivés et l'ont neutralisé. Je n'ai pas cherché à le suivre, car la diplomatie est de mise dans cette situation, je crois. Je vais donc tenter d'aller le voir, à l'aide de ses potions et de faux papiers. Je pense que pour le sortir de cette situation, quelques sorts d'oubli suffiront. Mais il faudra faire disparaître le corps d'Amshel, et ça n'est pas de mon ressort. J'attends donc vôtre réponse, et vous supplie de me venir en aide.

Bien à vous,

Miss Bartavelle.

Elle avait eu du mal à écrire aussi respectueusement à la vieille Butterfly, mais la vie de son cousin était en jeu et sa fierté était beaucoup moins importante que lui.

La situation était critique, j'étais obligée de lui écrire...

Elle marqua une pause, mais il ne dit rien.

Et je ne pue pas le vampire !

Elle sourit.

Lorsqu'elle lui annonça que Dorothy était au courant il leva les yeux au ciel et enfoui son visage dans ses mains. Le tout, songea-t-il, était de rester le plus calme possible, pour n'éveiller aucun soupçon.

Qu'est-ce que tu veux qu'elle y fasse, bordel ?! Elle est incapable de gérer Psycadélice sans trancher des têtes et tu lui demandes de gérer ça ! Toi ! Desdemona Bartavelle, la personne qui l'exècre le plus au monde, tu la préviens !

Il s'allongea et ferma les yeux.

Mais où avais-tu la tête, bon sang ! Elle va se poser des questions sur mes agissements, et je ne te parle pas de ce qu'elle pourrait te faire à toi. Si tu ne te débrouilles pas pour intercepter la lettre, elle pourrait très bien t'interdire de revenir au pensionnat, et m'obliger à faire passer mes élèves de l'autre côté. J'ai beau haïr les humains, j'ai beau être un proviseur tyrannique, la dernière chose que je leur souhaite c'est bien de faire connaissance avec elle. Imagine-toi une seconde ce qu'elle va penser de moi quand elle va savoir que je me suis fait arrêter alors que j'essayais de sauver un humain. Voilà pourquoi JE devais la prévenir.

Il tapota sur le lit pour l'inviter à s'allonger près de lui.

Donc ma chère Des', lorsque tu vas sortir de cette pièce, en ayant repris une apparence qui me déplait fortement, tu vas faire tout ce que tu peux pour que cette lettre n'atteigne jamais son but. Ensuite tu fabriqueras une potion volatile que tu ouvriras la prochaine fois que tu viendras ici afin qu'elle se diffuse un peu partout et que ces crétins ne se souviennent pas de moi.
Enfin, je n'ai pas dit que tu puais le vampire, j'ai dit que ça sentait le vampire à des kilomètres. Depuis combien de temps n'as-tu pas bu de sang ?

On s'en fiche de ma consommation de sang. J'en ai ma claque de toi, Barsa'. Tu te retrouves dans des situations délicates, je dois penser seule à tout, et tu ne fais que t'énerver, sans cesse, pour tout et n'importe quoi. Pour la lettre, je n'ai pas encore eu mon "accusé de réception", je n'ai donc qu'à me concentrer et elle s'évaporera... comme par magie.

Elle le fit dans l'instant qui suivit ses paroles, puis se leva, ignorant son invitation, et se dirigea vers la porte. Leur conversation avait duré une dizaine de minutes à peine, alors qu'ils avaient encore cinquante minutes devant eux. Mais son cousin était de mauvaise humeur et, s'il n'avait pas tort sur les faits, il n'avait pas à lui parler de la sorte. Elle s'arrêta devant la porte, puis fit volte-face. Elle toisa Barsanuphe de ses grands yeux violets, qui exprimaient simultanément la colère et la déception. Ses humeurs lui étaient de moins en moins supportables.

Au revoir. Je ne sais pas encore quand je reviendrai, ni même si je reviendrai, après tout tu n'as qu'à te débrouiller avec ta chère Dorothy. Pour ton pensionnat, ne t'en fais pas, je m'en occuperai, je ne voudrais pas qu'il arrive malheur aux élèves... enfin, pas à tous.

Elle avait parlé très sèchement, trop peut-être. Mais étant donné qu'elle n'avait pas dormi justement pour l'aider et qu'elle n'avait pas envie de lui parler, elle ne regretta pas le ton qu'elle avait employé. Elle se retourna et s'approcha de la porte, prête à appeler le gardien.

Il tendit une main impérieuse mais lasse vers sa cousine. Les couleurs de la pièce s'assombrirent aussitôt, les parfums les plus nauséabonds de la pièce s'intensifièrent également et Desdemona se retrouva incapable de faire le moindre mouvement.

Comme je déteste en arriver là avec toi, Des'... Non vraiment ça m'énerve encore plus que de me retrouver en taule à cause d'un sale gosse trop curieux qui se trouvait hors des dortoirs en pleine nuit et qui, de surcroit, a échappé à mes ombres par on ne sait quel miracle. Tu me connais assez pour savoir que je ne me suis pas vraiment énervé et que si ça avait été le cas, les choses se seraient passées différemment.

Il se leva et la rejoignit, se calant entre sa cousine et la porte. Bien que tout en lui n'exprimait rien d'autre qu'une colère des plus intense, il s'efforçait de sourire.

Vois comme je m'efforce de rester calme, vois comme j'ai de plus en plus de mal à y parvenir. Pense que je n'ai pas que ma propre personne à gérer. Comme tu me l'as gentiment fait remarquer, s'occuper d'un pensionnat n'est pas une mince affaire.

Tout en parlant il entaillait son poignet gauche au niveau de la veine. Un liquide vert émeraude commença à s'écouler de la plaie.

Vois enfin comme je me préoccupe de toi. Je vois que tu n'as pas beaucoup bu ces derniers temps et que, manifestement tu commences à fatiguer. Je suis conscient que mon sang n'est pas l'un des meilleurs qui soient, pour ne pas dire qu'il est carrément infecte, mais il est certainement plus nutritif que le sang humain. Je comprendrais que tu me gifles, ou que tu fasses autre chose qui pourrait blesser n'importe qui, dans son estime, j'entends. Je comprendrais que tu partes et que tu ne reviennes pas. Tu sais comme moi que je me sortirais de là de toute façon, ce sera beaucoup plus long en revanche.

Il s'interrompit un instant pour regarder la petite flaque verte à ses pieds, puis reprit.

Je reconnais que tu t'es sûrement démenée pour arriver jusqu'ici, et que tu as fait ton possible pour m'aider, je t'en suis reconnaissant, crois-moi. Cela dit, je te demande de ne pas appeler le gardien tout de suite, il viendra tout seul, en temps voulu, sans quoi je risquerais de m'énerver vraiment et, comme tu sais que je ne peux me résoudre à te faire de mal, il va de soi que le pauvre en aura pour son argent... Que décides-tu, Des' ?

Desdemona ne savait plus quoi penser. Barsanuphe était-il provocateur à ce point ou ne la connaissait-il pas ? Elle ferma les yeux et se concentra pour se dégager de cette immobilité. Rien à faire, elle était beaucoup trop fatiguée pour y parvenir. Elle fixa donc son cousin avec un regard qui devait en dire long sur le sentiment de dégoût qu'elle éprouvait à son égard en cet instant.

Tu es vraiment une ordure de la pire espèce ! De quel droit oses-tu te comporter de la sorte avec moi ? Aurais-tu oublié que nous sommes de la même famille ?

Évidemment, Barsanuphe ne lâcha pas prise. Desdemona tenta une nouvelle fois de reprendre le contrôle d'elle même, mais ce fut en vain, et l'affaiblit encore plus. Ses grands yeux étaient haineux, et si elle avait eu plus de forces en cet instant, elle aurait été d'une incroyable violence. Mais son état ne lui permettant pas, elle se contenta de parler.

Barsanuphe, s'il te plait, laisse-moi tranquille ! Et aie la décence d'écarter ton poignet, car tu sais très bien que jamais je ne boirai du sang qui ne soit pas pourpre, aussi nutritif qu'il puisse être. Tu es en train de me faire insulte, et cela m'est insupportable. Alors laisse-moi partir, maintenant. Et croupis bien dans ta cellule, parce que je ne t'en sortirai pas. Tu es comme Dorothy, tu es même pire qu'elle... se servir de la vie d'un humain pour me faire du chantage... Tu peux aller paître, cher cousin. Quand bien même je serais obligée de rester enfermée, je le ferais sans te décrocher un seul mot. Et je ne vois pas où est l'intérêt.

Elle se concentra de nouveau, de toutes ses forces cette fois. Elle y était presque, mais l'épuisement eut raison d'elle et lui fit perdre connaissance. Son corps s'écrasa sur le sol froid de la salle glauque.

Il sentit ses efforts pour bouger mais ne défit pas son emprise pou autant, ne la resserrant pas non-plus, sa cousine étant trop faible en cet instant pour briser le sortilège. Il n'écoutait même pas son discours, il y avait certainement déjà eu droit lors de telle ou telle autre dispute. La seule chose qu'il retint, et qui le fit énormément sourire fut la première phrase qu'elle lui lança en pleine figure.
Oui, ça il devait le reconnaître, il était vraiment la pire des ordures, et encore elle ne l'avait pas vu à la belle époque. Là il avait vraiment été odieux.
Il lisait la haine dans ses yeux et en fut attristé, mais il ne brisa pas le sortilège. C'est elle qui le fit, inconsciemment -le mot était juste- lorsqu'elle s'évanouit. N'ayant plus d'emprise sur quoi que ce fut, il ne put que le regarder choir à mesure que l'atmosphère de la pièce s'allégeait.
Il se sentait coupable de ce qui venait de se passer, de l'état dans lequel il avait réussi à amener sa cousine. Mais ça lui donna une idée.
Il porta sa cousine avec toute la délicatesse dont il était capable en dépit de sa maladresse et la coucha sur le lit. Ensuite il la déshabilla et la rhabilla aussitôt, en s'efforçant de donner l'impression qu'on l'avait habillée endormie, ce qui était en fait le cas. Il lui redonna l'apparence qu'elle avait en entrant et appela le gardien après avoir ouvert l'immonde chemise offerte par la prison.

Ce que tu peux être laide... Je te préfère au naturel, cousine...

Le gardien entra. Son regard s'attarde sur madame Bartavelle avant de revenir sur Barsanuphe, empli d'interrogations. Ce dernier prit un air goguenard.

Que voulez-vous ? Je suis un monstre au lit, elle a pas supporté mais elle va s'en remettre.

Le gardien ne sembla pas tomber dans le panneau, ce qui ne surprit pas le directeur, au moins il aurait essayé. D'un mouvement rapide, il le frappa à la tempe pour lui faire perdre connaissance à lui aussi. Il songea tout d'abord à s'éclipser avec sa cousine sur le dos, mais encore faudrait-il qu'ils arrivent à sortir. Finalement il s'agenouilla au-dessus du corps du garde et se concentra sur son apparence. Peu à peu, le garde sembla grandir et s'affiner, et en une dizaine de minutes, le directeur se retrouva agenouillé face à un seconde Barsanuphe, quant à lui, il ressemblait désormais au garde.
Jusque là tout allait bien. Il se leva et prit un air affolé en appelant d'autres gardes.

Il a essayé de lui faire du mal, je l'ai assommé. Ramenez-le en cellule, je m'occupe d'elle.

La route jusqu'au pensionnat fut plus longue qu'il ne l'imaginait. Une fois arrivé là-bas, il fit emmener sa cousine dans sa chambre et s'enferma dans son bureau avec un pantin. Le pantin en ressortit quelques heures plus tard, un sac à bandoulière à l'épaule et sortit du pensionnat.
Barsanuphe, lui, ordonna à Miss Tickles d'interdire toute intrusion dans son bureau, quelle qu'elle soit et rappela ses ombres.

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